Editions Gallimard - Collection Folio - Août 1999 - 306 p.
Quatrième de couverture : "Livre-feu,
livre-fou, conçu de main de maître, Autumn nous brûle les mains dès les premières pages, en nous entraînant dans le périple insensé des peintres préraphaélites. L'aventure de Dante Gabriel
Rossetti avec la belle Elizabeth Siddal ne serait pas ce qu'elle est sans le style de Philippe Delerm. Un style romanesque, cela va sans dire. Mais un style tout de même. À envoûtement du lecteur
s'ajoute la magie des mots. Des mots somptueux, issus de l'ultime clarté de ces jours d'automne. Autumn est un vrai roman, avec des personnages qui se déchirent, des visages connus, comme ceux de
Swinburne ou de Lewis Carroll. Le déploiement des couleurs s'efface derrière les ténèbres d'un destin en clair-obscur.
Résumé : Autumn nous plonge en Angleterre entre 1850 et 1869, dans la vie des peintres préraphaélites. Une silhouette domine toutes
les autres. C'est celle de Dante Gabriel Rossetti, peintre et poète, fils d'un ancien carbonaro. Chez lui, tout est contradiction : élan mystique et sensualité, rêve communautaire et
individualisme forcené. Dans son ombre, une toute jeune femme, Elizabeth Siddal : sa pâleur presque diaphane, la rousseur de sa chevelure flamboyante en feront le modèle d'un type de
beauté dont héritera tout le symbolisme européen. Elle sera la Béatrice des tableaux de Rossetti, l'Ophélie de John Evrett Millais. John Ruskin enfin, le grand critique et écrivain, règne sur cet
univers par son autorité intellectuelle, en même temps qu'il lui est soumis par sa fragilité affective.
Tous ces personnages mêlent leurs destins, se heurtent, se déchirent, jusqu'à la drogue et la mort.
Dans ce climat encore très romantique, et déjà très décadent, dans cet automne des passions, des couleurs, des rêves impossibles, Philippe Delerm trouve la tonalité idéale pour écrire le roman de
l'art et de la vie.
Mon avis : Une grande rêveuse et romantique comme moi ne pouvait pas passer à côté de cette perle. Moi qui m’émerveille devant toutes peintures
préraphaélites, c’est avec un enthousiasme certain que je me suis attardée parmi ces artistes passionnés qu’étaient Dante Gabriel Rossetti, John Everett Millais, Edward Burne-Jones et
bien d’autres. C’est aussi le destin tragique d’Elizabeth Siddal, modèle qui a tant obsédé Rossetti, sa Béatrice mais aussi la célèbre Ophélie de Millais. Passion, romantisme,
obsession et décadence vont se croiser au rythme lent de ce récit.
Avec une plume suave et raffinée, aux lentes envolées lyriques, Philippe Delerm nous plonge dans une Angleterre froide et brumeuse, aux savoureuses descriptions des plus
automnales. Comme pour une friandise, j’ai pris le temps de lire et, tout en fermant les yeux, de recréer cette atmosphère exaltante. C’est un récit dont j’ai eu bien du mal à m’extirper
tant la vie de ces peintres est fascinante. Le lecteur s’implique dans leur quotidien. Comme dans une ronde, les derniers chapitres invitent
le lecteur à relire les premiers, comme pour se souvenir et s’imprégner un peu plus de ces destins si singuliers. Le manque d’action, le style très descriptif et lent pourraient en repousser
certains mais cela est bien peu comparé au reste.
Philippe Delerm a reçu en 1990, pour « Autumn », le prix Alain-Fournier qui est décerné chaque année à une plume naissante.
L'avis de Morwenna tout aussi élogieux !
Ma note :
Extrait : Ce soir était le
dernier soir. Millais serrait les mâchoires, dans l'exaspération des ultimes retouches. Depuis plus d'une heure, les dernières chandelles s'étaient éteintes sous la baignoire insolite. Elizabeth
ne savait pas qu'elle tremblait d'un froid réel. Enfin, John posa sa brosse sur le chevalet. Elizabeth se leva sans un mot, jetant un châle sur ses épaules. Sa robe brodée d'argent restait collée
contre son corps, et dégouttait sur le plancher. Mais peu lui importait. Elle regardait, fascinée : sur la toile, ses longs cheveux noyés se confondaient avec les eaux troublantes et sombres de
la rivière. Les anémones et les pensées s'échappaient de ses mains ouvertes, dans un geste d'une étonnante fraîcheur, qui semblait à la fois si hiératique, les paumes tournées vers le ciel.
C'était elle, offerte et prisonnière au centre du motif. Elle, et par-delà son corps, tous ces rêves, toutes ces pensées qui l'avaient traversée durant tant d'heures extatiques. Elle était là,
éternisée et abolie, là, morte sur la toile plus vivante que sa vie. Elle eut ce geste d'approcher la main pour toucher le grain ensorcelé, la matière magique de ce grand miracle triste. Elle
regarda Millais. Millais la regarda. Il faisait presque nuit dans l'atelier. Elle toussa longuement, d'une toux déchirante née du plus profond de son corps, et dont l'écho se prolongea pour la
première fois dans la poussière hostile. Les longues vitres obliques bleuissaient sous la neige du soir.

Ophelia - Sir John Everett Millais